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Venise - Les digues corrompues


Détails sur le plus grand scandale de corruption de ces vingt dernières années en Italie: «Moïse», le projet de digues mobiles devant préserver la Sérénissime de la montée des eaux, était au coeur d’un système de surfacturations.

Article du Monde,  dimanche 13- lundi 14 juillet 2014, p. 15,  par Jérôme Gautheret

    Venise est touchée au coeur, mais ces blessures-là ne se voient pas toujours. En ce début d’été, les bateaux géants continuent de déverser chaque jour leurs milliers de touristes aux abords de la place Saint-Marc, et les hôtels de la Sérénissime, en pleine Biennale d’architecture, affichent complet. Au centre de la ville, parmi les milliers de passants qui traversent chaque jour le pont du Rialto, rares sont ceux qui s’attardent sur l’imposant bâtiment ocre qui lui fait face, le Palazzo X Savi, le «Palais des dix sages». Moins spectaculaire que ses voisines du Grand Canal, cette longue bâtisse harmonieuse du XVIe siècle bordée d’arcades, dont les environs sont livrés au commerce florissant des marchands de souvenirs, n’a pas grand-chose pour attirer le regard. Pourtant, c’est vers elle que l’Italie tout entière tourne depuis un mois des yeux incrédules. Le palais abrite le siège du Magistrato alle Acque, une institution créée en 1501, sans laquelle rien ne se fait à Venise, et qui se trouve touchée par le plus grand scandale de corruption de ces vingt dernières années. L’arrestation, le 4juin, de 35 personnes, dont le maire de Venise, a plongé les habitants dans la stupeur. «Au moins, au temps des doges, quand un magistrat fautait, on lui coupait la tête», s’agace un habitant en montrant du doigt la façade.

    Les Vénitiens sont tout sauf naïfs, ils sont même les premiers à plaisanter sur la corruption institutionnalisée qui sévit dans leur ville. Cette fois, leur colère vient de ce que l’ampleur du système mis au jour par les enquêteurs dépasse l’entendement. Et aussi du fait que l’objet du délit est un projet scruté par le monde entier, le chantier de digues censé mettre ce joyau du patrimoine italien à l’abri des inondations qui menacent sa survie.

    Venise trahie par ce qui doit la sauver… L’ironie de la situation n’échappe à personne. Et parmi les puissants, nul –ou presque – n’est épargné. Des responsables politiques, des magistrats, des entrepreneurs, des financiers et même un général de corps d’armée à la retraite… Le coup de filet contre la «sérénissime clique du Nord-Est», selon l’expression du quotidien local, Il Gazzettino, rassemble tous les corps de métier. Depuis ce 4 juin, les journaux consacrent plusieurs pages par jour au scandale. On parle de réunions secrètes, d’enveloppes de liquide échangées au grand jour, dans les restaurants de la ville… Dans les cafés où les habitants se retrouvent, les langues des mieux informés se délient, en échange de l’anonymat le plus strict. Car Venise est une ville-monde, avec plus de 20 millions de visiteurs par an, mais c’est aussi un village fermé, jaloux de ses secrets et de ses affaires privées. Même quand elles se trouvent exposées à la face du monde.

    Le coeur du délit, donc, est le Magistrato alle Acque. Une institution rattachée au ministère des travaux publics, totalement indépendante de la mairie et chargée de veiller sur la lagune. Plus précisément, un groupement d’entreprises privées qu’elle a constitué par loi spéciale en 1984, le Consorzio Venezia Nuova (CVN), qui avait la haute main sur la répartition des chantiers publics, et se trouve aujourd’hui accusé d’être à l’origine d’un système de surfacturations géantes.

    Au centre du système, on trouve une entreprise industrielle, Fratelli Mantovani, qui s’est assuré une part dominante dans le CVN. Avec 40% de cette structure, elle était en mesure de faire la pluie et le beau temps sur la lagune. Et elle ne s’est pas privée d’en tirer de juteux bénéfices.

    C’est à partir de l’arrestation de son administrateur délégué, Piergiorgio Baita, en février 2013, que l’enquête, lancée en 2008, a décollé. Pour obtenir une peine réduite, l’ingénieur, directeur opérationnel de Mantovani, a décrit en détail la mécanique infernale mise en place autour des digues mobiles, afin de gonfler les marges sur chaque chantier, en échange de juteuses commissions. Une fonctionnaire de la province de Vénétie, Claudia Minutillo, achèvera de donner à l’affaire un tour plus politique – et vaudevillesque: secrétaire particulière de l’ancien ministre Giancarlo Galan (Forza Italia), alors gouverneur de la Vénétie, la jeune femme, changée d’affectation à la demande de l’épouse de son patron, a semble-t-il facilité le travail des enquêteurs au point de mettre au jour un système de commissions occultes ayant rapporté à son ancien supérieur… un million d’euros par an. La chute de Silvio Berlusconi prive Galan d’une précieuse protection, l’enquête avance à grands pas.

    En juin 2013, les enquêteurs remontent jusqu’à Giovanni Mazzacurati, dirigeant pendant près de trente ans du consortium et deus ex machina des travaux sur la lagune, qui, s’il ne semble pas s’être directement enrichi, a couvert tout le système. Dès lors, le coup de filet du 4 juin 2014 n’était plus qu’une question de temps. Le grand déballage pouvait commencer.

    Mais pouvait-il en être autrement? Le système mis en place n’était-il pas intrinsèquement pervers ? «A partir du moment où beaucoup de grands noms du capitalisme italien étaient membres du Consorzio et que les mêmes posaient leur candidature pour les appels, ils étaient à la fois prestataires et donneurs d’ordre. Dès lors, comment peut-on s’étonner que ça ait dérapé? », s’interroge un habitant de la ville, qui eut plusieurs fois affaire au CVN. Et notre homme de rappeler, pour illustrer son propos, une anecdote remontant à 2007 et qui avait provoqué l’hilarité dans la région: la dépollution d’un terrain de ball-trap appartenant à un petit agriculteur, tombé dans la juridiction du CVN, car situé au bord de la lagune, avait été confiée à Fratelli Mantovani pour un total de 6 millions d’euros. Des experts indépendants avaient conclu que le prix juste tournait plutôt autour de 400 000…

    De fait, le CVN semble avoir été conçu dès l’origine pour favoriser les surfacturations, lesquelles permettent en retour le versement de commissions, assurant la participation aux bénéfices (et donc le silence) de chacun. «Au fond,c’est un mécanisme vieux comme le monde, poursuit notre observateur. Il y a des dizaines de petits “consorzio” dans la ville, comme partout, d’ailleurs…»

    L’affaire a changé d’échelle avec le lancement d’un chantier hors du commun, baptisé MOSE. Un acronyme de Modulo sperimentale elettromeccanico, ou Module expérimental électromécanique, formant le nom italien du prophète Moïse – rien que ça –, pour un projet visant à stopper les eaux de l’Adriatique lorsqu’elles dépassent une certaine hauteur afin de mettre un terme au phénomène de l’acqua alta, dont la répétition menace l’existence de la ville. Une chimère dont la complexité a souvent poussé les experts à douter de sa faisabilité, depuis sa mise en chantier en 2005, et dont le coût, estimé à 2 milliards d’euros au lancement des travaux, a dérapé jusqu’à frôler les 6 milliards, alors que la mise en place des digues, sans cesse repoussée, n’est plus attendue avant 2016. L’administrateur délégué du CVN, Piergiorgio Baita, estime la marge des entrepreneurs sur ce chantier à 50%, contre 10% d’ordinaire, et évalue les sommes détournées à une centaine de millions d’euros par an.

    Sur les trois passes séparant la lagune de l’Adriatique,et par lesquelles circulent chaque jour plus de 2 millions de mètres cubes d’alluvions, les ouvriers continuent à s’activer. Des centaines de mètres de côte ont été bétonnés, des îles artificielles construites : la passe du Lido, qui pendant des siècles avait été l’entrée obligée pour les voyageurs, est méconnaissable.

    Le système de digues mobiles a beau avoir été testé à plusieurs reprises, pour des résultats jugés satisfaisants, la plupart des Vénitiens restent sceptiques. Et beaucoup en viennent à craindre que ce chantier ne se termine en fiasco technologique. Sur le plan politique, les dégâts sont considérables. Le maire, Giorgio Orsoni, qui n’était pas partie prenante du consortium mais siégeait aux réunions comme observateur, a reconnu avoir touché 550 000 euros, qu’il affirme avoir reversés au Parti démocrate (PD). Condamné par la justice à quatre mois de réclusion et une amende, une peine que le ministère public lui-même reconnaît «minime» mais préfère à une sentence plus lourde «qui risquerait d’être prescrite», renié par le président du conseil, Matteo Renzi, qui a promis l’exclusion du PD pour tout responsable du parti impliqué dans l’affaire, Orsoni suit désormais les derniers développements depuis son domicile, où il est consigné.

    Le scandale du MOSE éclaire d’un jour nouveau les réserves émises par son prédécesseur, Massimo Cacciari, maire de la ville de 1993 à 2000, puis de 2005 à 2010, et principal opposant au chantier. Ce philosophe de formation, qui enseigne toujours à l’université de Milan, lui reprochait son coût faramineux et son utilité discutable (le dispositif ne devrait servir que quelques fois dans l’année). Il dénonçait aussi le fait que, en mobilisant de précieuses ressources, le projet privait la ville des moyens nécessaires pour de nombreuses opérations de sauvegarde et d’entretien, tout en empêchant la mise en place de mesures incitatives pour mettre un terme à l’exode des Vénitiens, qui quittent le centre-ville au rythme de plusieurs centaines d’habitants par an afin de gagner la terre ferme.

    Après tout, à quoi bon sauver une ville si elle se vide? Lorsqu’on demandait à Massimo Cacciari ce qu’il fallait faire contre l’acqua alta, le maire avait une réponse toute faite: «Il suffit d’acheter des bottes.» On en trouve de très pratiques derrière la place Saint-Marc, pour 10 euros la paire.

    Jérôme Gautheret


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