Venise Mon Amour

L’Unesco réclame l’interdiction des gros bateaux dans la lagune de Venise. Trop dangereux. Fin du droit de Cité pour les paquebots?

Pour tout visiteur passé à Venise ces dernières années, la vision de ces immeubles flottants est effarante. L’Unesco compte bien profiter de la catastrophe du Costa Concordia pour pousser les autorités italiennes à agir contre la présence des paquebots qui envahissent la Cité des Doges depuis onze ans. Dans une lettre pressante envoyée vendredi, l’institution a réclamé la fin de ce scandale, rejoignant la mobilisation d’associations écologistes et patrimoniales locales. «Cette tragédie ne peut que confirmer la préoccupation, exprimée depuis quelque temps déjà, du risque que présentent ces grands navires de croisière pour les sites du patrimoine mondial», écrit Francesco Bandarin, directeur de la Culture à l’Unesco, appelant «rapidement»à des mesures de régulation, dans le respect de l’environnement.

Lemaire, Giorgio Orsini, a promis une commission d’enquête. Le comité du patrimoine mondial avait déjà exprimé son inquiétude devant la multiplication de ces monstres dans la lagune et sur le canal de la Giudecca, accostant dans le bassin Saint-Marc ou devant les Giardini, qui accueillent la Biennale. Portant chacun des milliers de passagers, leur taille n’a cessé de grandir, jusqu’à atteindre 50 mètres de long. Les risques d’accident ne sont pas inexistants, comme le prouve l’échouage du paquebot allemand, le Mona Lisa, en mai 2004, devant l’île San Giorgio, deux remorqueurs partis à son secours s’étant heurtés dans le brouillard.

De plus, les puissants remous contribuent, avec les vaporettos, aux secousses atteignant les fondations de la ville, composée d’une forêt de pieux de bois. Les gaz d’échappement des paquebots équivaudraient à ceux produits par 2 000 camions dans l’année, contribuant à l’érosion des façades et des statues. Il en passe désormais plus de 500 dans l’année, déversant plus de 2 millions de visiteurs. Alors que, ayant dépassé le seuil des 20 millions, Venise est déjà, avec d’autres sites mal gérés tels le mont Saint-Michel ou le Taj Mahal, un de ceux souffrant le plus d’un afflux démesuré.

Le paradoxe veut que leur inscription au patrimoine mondial de l’humanité augmente encore les visites (jusqu’à 30%). De plus en plus soumise aux pressions commerciales et diplomatiques, l’Unesco entend bien ainsi lancer un cri d’alarme contre les Etats qui ont détourné la convention du patrimoine de tout son sens pour en faire unemachine à fric.

Vincent Noce, dans Libération, jeudi 26 janvier 2012.